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Faits-divers : les recettes d’un crime audiovisuel parfait

Actualités - Médias

Faits-divers True Crime

Avec Camille et Victor

Chaque été c’est pareil : le verre de rosé sur le port a pris 10% d’augmentation par rapport à l’année précédente, vos enfants ne savent toujours pas se mettre de la crème solaire tout seul et dans vos oreilles, votre magazine préféré ou sur la serviette de votre voisin de plage, le fait-divers est encore une fois partout !

 

Alors afin de percer une fois pour toute ce mystère et comprendre le phénomène, on est allé interroger Victor et Camille (directeur et directrice d’études chez ThinkOut) pour qu’ils nous expliquent la recette du succès des true crime (autour d’un verre de rosé évidemment).

Camille et Victor, vous avez organisé récemment avec Think-Out un petit-déjeuner autour du thème des faits-divers et du True Crime dans les médias. Pourquoi ?

Camille : Parce que c’est passionnant ! Comme tout le monde, ce sont d’abord des histoires qui nous passionnent et nous font frémir, en tant que lecteur.rice, auditeur.rice, téléspectateur.rice. Et en tant qu’expert des médias c’est un phénomène dont les ressorts nous intéressent beaucoup. Voilà pourquoi on a décidé d’en faire le thème d’un petit-déjeuner où nous avons réuni des acteurs du secteur (diffuseur.euses, producteur.ices) pour échanger et essayer de comprendre les raisons du succès.

 

Victor : Évidemment, ces histoires sont horribles mais au-delà c’est leur nature en tant qu’objets médiatiques qui nous a intéressé. Sous trois angles : quels sont les ingrédients qui en font des contenus aussi puissants à la télévision, sur les plateformes ou en podcasts ? Qu’est-ce qui explique qu’ils attirent toujours autant le public ? Et en quoi leur évolution reflète-t-elle celle vécue par l’ensemble des formats audiovisuels ces dernières années ? Car entre les brèves inclassables de la rubrique des chiens écrasés au début du siècle, et la série sur le petit Grégory diffusée sur Netflix, beaucoup de chemin a été parcouru !

Justement, le fait divers a-t-il toujours bénéficié de ce statut prépondérant dans l’offre médiatique ?

Victor : Non, pas toujours. Initialement se sont quelques initiés qui ont choisi ce genre pour exercer leur plume au travers d’histoires sordides et spectaculaires dans un magazine comme Détective. Puis à la fin du vingtième siècle, le fait-divers devient beaucoup plus populaire, les grands titres de presse mainstream s’en emparent (France Soir, Paris Match), Faites Entrer l’Accusé revient dans chaque épisode sur les grandes affaires criminelles comme l’affaire Dutroux, l’affaire Ranucci et bien d’autres. Mais le genre reste profondément déprécié puisqu’il est jugé trop futile ; « le fait-divers fait diversion » dira Pierre Bourdieu qui le déprécie et le classe dans la catégorie des divertissements.

 

Camille : Il faudra attendre encore un peu pour que le genre fasse l’unanimité. Le fait-divers a pris cette ampleur notamment parce qu’il s’est mis à avoir un impact politique. Souvenez-vous qu’on appelait Nicolas Sarkozy, alors Ministre de l’Intérieur : « Le Ministre des faits-divers » car il courrait d’un fait-divers à l’autre ! Ou encore de l’affaire Paul Voise, l’agression d’un retraité la veille du premier tour de l’élection présidentielle de 2002 dont on dit que sa médiatisation a impacté le vote des Français le lendemain (on connaît la suite…). Relayés, commentés, analysés on s’est aussi aperçu que les faits-divers pouvaient avoir un impact social, sociétal : ainsi des crimes qualifiés autrefois à tort de « passionnels » et requalifiés aujourd’hui en féminicides car c’est cela qu’ils racontent. Dès lors, on ne peut plus traiter les « faits-divers » au sens premier mais davantage comme des révélateurs, comme évènements symptomatiques de l’état d’une société, d’une époque, reflets des grandes problématiques qui la traversent.

 

Victor : Le fait-divers devient fait social avec un fort impact sociétal, culturel, politique comme en témoigne par exemple Laëtitia ou la Fin des hommes d’Ivan Jablonka, où la tragédie de Laëtitia devient le récit plus global de la domination patriarcale et de ses terribles conséquences.

Alors, comment expliquez-vous que le True Crime séduise autant ?

Camille : On entre ici dans le cœur de notre métier chez ThinkOut : interroger et comprendre les publics pour identifier les ressorts de leur adhésion à un contenu, un genre, etc. Dans le cas du fait-divers, on dénombre quatre principaux leviers.

 

Tout d’abord, la dimension identificatoire et psychologique : bien souvent ces affaires concernent des gens (victimes ou auteurs) qui pourraient être mes voisins, mon boulanger, un membre de ma famille, à qui il arrive des choses hors du commun et souvent effroyables. Cette tension, cette contradiction entre l’apparente normalité des gens que l’affaire concerne et le caractère inimaginable de ce qu’ils font ou subissent constitue un levier de curiosité et d’intérêt majeur à l’égard des faits-divers. Qu’est-ce qui dans l’enchaînement des faits, dans l’histoire des personnages a pu conduire à ce drame ? Comment cette personne que j’aurai pu croiser dans la rue en est arrivée à réaliser de tels actes ? Et d’ailleurs, est-ce que je le connais si bien que ça mon boulanger ?

 

Le second levier est cognitif, c’est celui de l’enquête. Le fait-divers est toujours un mystère à éclaircir, un coupable à confondre, un.e disparu.e à retrouver, des complices à identifier. On est ici dans le registre du polar, avec une énigme à résoudre, avec du suspens, des rebondissements, des fausses pistes… Que l’affaire soit résolue ou non, suivre le récit d’un fait-divers revient toujours à suivre le cheminement d’un enquêteur, à faire des hypothèses, à se demander qui ment ou qui dit la vérité. Il y a ici une forte stimulation cognitive pour le spectateur ou l’auditeur qui se retrouve à la place de l’enquêteur policier ou journaliste, avec l’espoir de trouver les réponses, d’avoir la bonne intuition ou l’éclair de lucidité ultime !

 

Victor : Nous avons déjà commencé à évoquer le troisième levier au début de notre échange : le fait divers est aujourd’hui considéré comme un révélateur social. À travers lui, on peut comprendre beaucoup de choses sur le monde, la société dans laquelle on vit, ou du moins sur l’univers ou l’époque dans laquelle les faits se sont déroulés. C’est une loupe sur une vallée reculée des Vosges dans l’affaire Grégory ou un quartier pavillonnaire bourgeois et catho pour l’affaire XDDL. C’est un coup de projecteur sur le fonctionnement de la justice dans l’affaire Outreau. C’est aussi un marqueur générationnel pour les affaires Grégory ou Ranucci par exemple avec un imaginaire, des références et un « folklore » qui parlent à toutes les personnes ayant vécue et grandie dans les années 80 ou 70.

 

Enfin, le dernier levier est sans doute le plus intuitif, c’est la dimension émotionnelle que portent tous les faits divers. C’est un récit qui bouleverse, qui suscite la peur, la tristesse, l’empathie envers les victimes, la haine, la crainte envers les coupables. C’est un récit où les notions de bien et de mal sont bien souvent remises à leur juste place (infanticide, féminicide), mais peuvent aussi être questionnées (Jacqueline Sauvage).

À vous écouter, les leviers de succès du fait-divers empruntent beaucoup à la fiction… Pourtant en termes de formats, nous avons affaire à un travail journalistique et il s’agit avant tout de faits réels qui sont relatés !

Camille : tu mets ici le doigt sur l’élément le plus caractéristique des productions récentes en matière de faits-divers. En télévision, sur les plateformes, à la radio ou en podcast, c’est bien sur la fine crête entre réalisme et fiction que les contenus évoluent le plus souvent. Là où la télé-réalité joue sur le brouillage des frontières entre réalité et divertissement, le True Crime navigue entre renforcement du réalisme documentaire et fictionnalisation de la mise en récit.

 

Fictionnalisation d’abord, à travers ses codes narratifs (cliffanghers, soin porté aux personnages, choix musicaux, effets de mise en scène, rythme), renforcés par le caractère feuilletonnant des séries documentaires, découpées en épisodes et chapitres, au storytelling ultra réfléchi, et ajouté à cela, la dimension de plus en plus immersive de la réalisation qui mise beaucoup sur les reconstitutions avec comédiens, décors, etc.

 

Victor : Mais en parallèle, on assiste aussi au renforcement du réalisme des contenus, en proposant des enquêtes toujours plus fouillées et approfondies, en révélant des infos inédites (cf. le travail journalistique réalisé lors de l’enquête de Society sur XDDL) en faisant intervenir les protagonistes de premier plan des affaires (dans Les femmes et l’assassin par exemple), en s’attachant à jouer sur l’authenticité et la sincérité des témoignages recueillis, en limitant les médiations et les voix-off…

 

Reste une question en suspens, pour le moment irrésolue (et c’est là tout son intérêt !) : quelles sont les affaires qui vont prendre de l’ampleur, celles qui vont sortir de la brève pour devenir des phénomènes majeurs ? Quelles sont les conditions pour que de la multitude des affaires sordides émergent l’histoire qui passionnera le public et changera le regard de toute une société sur une thématique, sur un groupe de gens, sur une époque ? Leur caractère spectaculaire ? Absurde ? Non résolu ? Le mystère demeure…

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